J'arrête pas de parler de ce groupe "culte" donc je me suis dit que j'allais en faire une p'tite présentation... autant être chiant jusqu'au bout et vous laisser une chance de dire que moi aussi, comme tout le monde, j'écoute de la merde !
Envy est un groupe japonais qui s'est formé en 1992 à Tokyo autour du chanteur Testsuya Fugakawa. Ils sont les fondateurs/inventeurs d'un genre : le "screamo". Derrière ce terme se cache la contraction de "scream" (crier) et "emo" (emotion). J'entends par "inventeurs" ceux qui ont porté le genre et l'ont magnifié... déjà aux débuts de années 90 quelques groupes hardcore avaient fait des essais dans le genre.
Qu'entend-on par là ? Et bien c'est en effet une façon de "chanter" en criant, très fort en général, pour expulser des émotions basiques... dans le "screamo" nul besoin de faire de références ridicules à un antéchrist ni au diable ni à quelque dieu scandinave, pas besoin non plus de chanter en finlandais, en latin ou en elfique. Le "screamo" c'est crier de "douleur" en général ; à savoir des peines communes telles qu'un amour qui s'éteint, la perte d'un être cher et parfois (mais rarement) la colère etc... ce qui veut dire, et spécialement avec Envy, que l'on est pas du tout dans un registre doom/black/death metal, ni dans la haine feinte ou dans le propos revendicatif... de la même manière, le groupe n'a pas un "look" particulier, c'est jean/basket/T-shirt et on y va... pas de chichi, ce qui n'est pourtant pas évident dans la culture japonaise du spectacle où soit on se la joue cosplay hypramaquillé ou revival sixties.
Ce qui fait qu'Envy est particulier c'est que malgré les titres anglais des chansons, ils ont choisi d'écrire les paroles dans leur langue maternelle, ce qui est assez courageux finalement pour le genre étant donné que la base occidentale des amateurs de ce style de musique est plutôt habituée à l'anglais. De fait, leurs paroles gardent un aspect mystérieux par leur exotisme phonétique ; le japonais étant un idiome qui se prête excellemment aux nuances : quand il est crié il est très tranchant, quand il est "posé" il en devient lyrique. Les paroles d'Envy sont à la hauteur de leur musique : recherchées, symboliques et bien souvent très poétiques. Elles parlent, en général, d'épreuves personnelles : de l'ennui, de la rupture, de la jalousie et aussi d'une forme de bonheur, d'apaisement personnel mais toujours en termes choisis et donc avec un mode de chant, le cri, certes très spécial.
C'est là la force du groupe : avoir su conjuguer une certaine violence avec de la poésie. C'est à mon avis, pour le moment, le seul groupe ayant réussi cette prouesse. Et non, il ne faut pas forcément des violons pour créer de l'émotion... en effet d'Envy je peux dire que c'est un groupe qui écrit de "beaux" morceaux ; les compos sont très bien ciselées, très mélodiques. Oui, jouer fort et crier ne signifie pas nécessairement mettre de côté l'écriture musicale. Envy a le don pour trouver des mélodies complexes mais belles, envoûtantes, touchantes. La construction des chansons est des plus efficaces : 90% des morceaux alternent entre des moments de furie totale et des passages très aériens, très posés ; ainsi il est idiot d'écouter juste les premières minutes d'un morceau d'Envy puisque celui-ci renferme à coup sûr plusieurs mouvements, plusieurs "émotions". Parfois les morceaux commencent pas 2 minutes de folie totale avec un son énorme, tendu par des guitares hyprasturées, par-dessus lequel le chanteur crie comme un porc toute sa douleur, puis d'un coup : passage mélo, en "spoken words" sur des nappes (discrètes) de synthé entourées d'arpèges cristallins (cf "Chain wandering deeply"). De fait, la grande marque de fabrique du groupe reste les incessants changements de rythmes inattendus, les "breaks", ce qui fait que chaque chanson renferme un surprise.
En soi, Envy est à la croisée des chemins du metal, du hardcore et du postrock : metal pour le son, hardcore pour l'esprit et la furie, postrock pour la construction des morceaux (morceaux assez longs, non linéaires, changements de rythmes, part belle faite aux répétitions de motifs...). Il n'est d'ailleurs pas anodin de voir le groupe évoluer vers un style très postrock à la Mogwai, leurs dernières productions ayant laissé de côté la furie des débuts pour davantage laisser s'exprimer les instruments. Certains fans de base regrettent ce virage, pour ma part je trouve qu'au contraire ils atteignent une forme d'apogée dans leur projet créatif.
J'ajoute, pour l'anecdote, qu'en plus de faire de la musique incroyable les membres du groupe sont très sympathiques, très accessibles. Le chanteur, avec qui j'ai échangé trois pauvres mots en anglais, est d'un rare douceur, très timide avec une voix toute fluette, à l'inverse de ce qu'il dégage sur scène. C'est un groupe à voir en concert en effet... on a littéralement l'impression que le chanteur va mourir sur scène, et on a mal pour lui et pour sa voix !
Ce groupe ne m'aurait jamais intéressé si ce n'avait été que 4 minutes de chant crié... il y a un "plus" chez eux, indéniablement, ne serait-ce donc que dans la recherche mélodique. Et donc, il ne chante pas "Pleurant des larmes de sang, je baiserai le diable sur la noire tombe d'Odin : nisi est intellectu quod non fueri in sensu, skrünfüll skrüfull brögenfliert (vive le 4è Reich), aaaaaaargh"
Donc si vous n'avez pas peur d'en prendre plein les oreilles, laissez-vous tenter... je vous laisse un lien vers une playlist ►
http://www.myflashfetish.com/playlist/8755210Ne pas se laisser "apeuré" par le cri qui au départ est un peu déroutant, met le mal au crâne et fait - injustement penser - qu'Envy est un groupe de méchant
Conseils d'écoute :
* "Chain wandering deeply" / "An adventure of silence and purpose" et "Your shoes and the world to come" pour l'aspect "changements incessants d'ambiances et de rythme"
* "Awaken eyes" / "Mystery and peace" et "Farewell to words" pour leur caractère violent et leur mélodie complexe
* "A winter quest for fantasy" ou "Further ahead of warp" pour le virage postrock, plus posé, du groupe.
(oui, donc, ce Monsieur est japonais, fait de la musique et pourtant n'a ni perruque jaune fluo, ni grand kimono à paillettes, ni lentilles vert pétant, n'est pas maigre et ne la joue pas sur l'androgynie... j'suis désolé...) ______________
Disco (seulement les albums, ils ont fait bcp d'EP entre 1992 et 1996)
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Tout un tas de groupes ont essayé de prendre la suite d'Envy, de marcher dans leurs traces... peu sont vraiment bons, il faut le reconnaître car justement il n'y a pas chez eux l'aspect "lyrique" d'Envy. On peut citer malgré tout comme bonnes références.
Amanda Woodward (France) / Aussitôt Mort (France)
Mihai Edrisch (France)
Yaphet Kotto (USA)
City of Caterpillar (USA)
Saetia (USA)
Bravo aux curieux et intrépides qui auraient tout lu !!