DeLaTêteÀlaLettre - Continuer les histoires d'Hélène

Bien sûr, il avait l'air un peu
étrange, bien sûr on se moquait de lui, mais peu
importe. Il n'avait plus aussi froid. C'était le plus
important. Sa peau remplaçait les amis qu'il n'avait pas.
C'était son amie. Et il continua a le penser des jours durant.


Personne n'avait expliqué à
Frisson que si les ours vivent en groupe ce n'étaient pas pour
mieux chasser comme le pense encore les hommes, mais pour partager
les joies de leurs vies. Alors ce sentiment qui le prenait parfois,
il ne le connaissait pas. Il sentait bien que ce n'était pas
de la faim, après tout il mangeait tout ce qu'on lui donnait
et le sentiment ne disparaissait pas. Il ne comprenait pas. Sa mère
et son père ne lui en disait pas un mot. C'est une chose qu'un
ours doit comprendre seul.

Un jour par an, sans que l'on sache
bien quand, une fête avait lieu chez les ours. On savait
simplement que dès que quelques notes de musique percées
à travers le vent, il fallait se préparer. Rien de bien
compliqué, il suffisait de suivre le tempo des notes qui
s'intensifiaient peu à peu. Le maître de cérémonie
arrivait lorsque la musique douce d'ouverture s'arrêtait. Son
nom était Ahkiyyini, et ce n'était pas un ours. C'était
un esprit Inuit, sorte de squelette fantôme au rythme dans les
os. Si bien qu'à peine arrivait, comme à son habitude,
il tambourinait déjà sur son omoplate avec l'os de son
bras. C'était l'appel.

Tous les ours se mirent par deux ou
quatre pour danser, sauf Frisson. Il était un peu à
l'écart, admirant la danse de ses aînés avec
envie. Encore une chose qu'il ne pouvait pas faire.

Alors que la première danse
prenait fin, l'esprit s'approcha de Frisson. Il ne dit aucun mot, et
son visage ne montrait aucune surprise devant ce petit être
frileux. Son seul langage était la musique et la danse. C'est
pourquoi il débuta la seconde danse devant l'ourson et tapait
du pied comme s'il attendait une réponse à ses
percussions. Frisson grelottait et regardait, il n'avait pas
l'intention de bouger ! Il était bien avec son amie la peau,
immobile, là, à regarder ses parents danser.

Pourtant il se leva, et avança
vers la ronde des danseurs, l'esprit le tirait par la peau de phoque
avec douceur, envoûtant. Et ils dansèrent ensemble.
Jamais on ne vit un ours dansait avec tant d'entrain. Le sentiment
inconnu disparaissait et bientôt c'est le froid lui-même
qui s'en alla. La peau de phoque glissa sur la neige, il continuait à
danser. La deuxième musique prit fin, il continuait à
danser. Il continuait à danser même lorsque l'esprit lui
lâcha la main pour repartir. Il dansait même sans la
musique, sur le souffle glacial. Il n'avait plus froid.

Depuis ce jour, certains inuits
affirment croiser parfois un ours danseur lors des nuits de grand
froid. On dit qu'il aide ceux qui se voient piégés par
les tempêtes, il aide ceux dont l'igloo est ravagé et
ceux dont l'enfant s'est perdu. Cet esprit bienfaisant, ils
l'appellent Agloolik et l'on sait qu'il viendra veiller sur nous dès
le premier frisson.